Katariina, ingénieure de travaux en Estonie, ne jette pas un regard derrière elle lorsqu’elle suit son futur mari en Finlande. L’Estonie est alors, depuis le début de la seconde guerre mondiale, sous l’emprise du joug russe et la vie en Finlande représente un affranchissement certain pour les estoniens. De cette union finlando-estonienne naîtra Anna, le personnage central du premier roman écrit par Sofi Oksanen.
Ne pas dévoiler ses racines, ressembler aux finlandaises, parler le finnois, refuser les relations avec les expatriées estonniennes sont les obsessions de Katariina et elle veille à les transmettre à sa fille:
« Je devais devenir finlandaise. Je devais parler, marcher comme une Finlandaise, avoir l’air d’une Finlandaise, même si je ne me sentais jamais au bon endroit, en quelque sorte jamais à ma place, comme dans un manteau avec des manches de longueurs différentes et trop petit pour moi, dans des chaussures qui m’écorcheraient à chaque pas. »
Pour l'école Anna invente des ancêtres finlandais et essaie de taire ses connaissances sur les méthodes soviétiques et l'occupation russe.
La mère et la fille effectuent de nombreux allers-retours entre leur maison finno-finlandaise et la ville de Tallin -la capitale de l'Estonie. Les visites à la campagne pour aller voir la grand-mère sont plus rares et aléatoires car soumises aux "invitations" que certains membres de la famille refusent parfois de délivrer. C'est pourtant là que Anna nourrit ses racines familiales estonniennes .
Adolescente, Anna développe des troubles du comportement alimentaire, elle devient boulimique-anorexique. Le comptage des calories, la préparation d'orgies alimentaires sont alors sa principale préoccupation perturbant sa vie sociale et amoureuse et ses études.
Ne vous fiez pas à la couleur rose de la couverture; le noir ou le rouge aurait mieux reflété l'ambiance de ce livre aussi froide et coupante que du verre.
Anna est sous la coupe de sa mère qui lui met la pression pour qu’elle devienne une vraie finlandaise. Les relations qui régissent la vie de ces femmes sont distantes et peu chaleureuses. A Tallin, Katariina ne relâche pas sa surveillance et même à la campagne Anna ne peut plus mettre les mini jupes - connotées filles de l'est- qu’elle affectionne. Katariina vit dans un pays capitaliste et riche, elle se sent redevable envers les siens et se charge de quantité de provisions à chaque voyage vers son pays d’origine. Il est difficile pour Anna de construire sa propre identité au coeur de cette ambiguïté.
Il faut lire l'histoire d'Anna et de Katariina éclairée par l'Histoire tourmentée de l'Estonie. Il faut remonter à la seconde guerre mondiale et à l'occupation russe pour mieux comprendre la honte, le rejet de ses origines et les peurs de la mère.
Le manque de linéarité, les allers-retours incessants entre les différentes époques, entre les deux pays et la narration qui passe de la première à la troisième personne créent un désordre et ne servent pas le lecteur. Je me suis plusieurs fois égarée dans l'arbre généalogique d’Anna. Il m'a manqué les repères spatio-temporels qui étaient présents dans Purge. Je me suis concentrée sur la vie d'Anna et de sa mère, occultant sciemment la génération précédente.
Les vaches de Staline disent le gâchis des origines non-assumées et les souffrances endurées par une génération qui marquent en profondeur celles qui suivent.
C'est un récit de grande envergure qui s'inscrit comme Purge dans une page incontournable de l'Histoire des pays baltes. Mais je n'ai pas trouvé ici le climat angoissant et le suspense qui m'avaient aimantée dans Purge.
La cosmopolite Stock- août 2011-