Plusieurs personnages vont se côtoyer, se croiser ou s’ignorer dans ce roman qui s’inscrit au moment du passage de l’ouragan Katrina sur les terres de Louisiane.
Il y a là Joséphine Linc. Steelson « négresse depuis presque cent ans » elle est le symbole de la communauté noire qui se bat et elle savoure quotidiennement « sa victoire » en s’asseyant dans le bus au plus près des blancs.
Les voix de Rose, de son mari qui revient vers elle après six ans, endossant bien tardivement son statut de père, celle d’un prédicateur inspiré par la tempête qui se déchaîne et veut sauver des âmes mais sans trop se mouiller et celles d’une poignée de prisonniers qui, au bénéfice de la coupure d’électricité, vont retrouver une liberté bien relative se mêlent à celle de Joséphine.
Ces personnes qui ont choisi d’affronter les éléments au lieu de s’enfuir vont se retrouver confrontés au déferlement de la tempête qui va laisser la région exsangue et dévastée. Mais cet ouragan va exalter leurs personnalités profondes en les mettant face à leur propre survie.
"Je vois les hommes passer et ce n’est que désarroi. Ceux qui sont là n’ont rien, ont tout perdu, errent comme des damnés. Je vois leurs regards désolés et je ne peux m’empêcher de penser que j’ai de la chance que ma vie soit derrière moi."
Il faut prendre un peu de temps au début du livre pour entrer dans l’intimité des personnages, pour cerner leur vie et se familiariser avec chacun d’entre eux. Dès le second chapitre en effet, la vague de l’ouragan submerge la Louisiane, le lecteur aussi est emporté et ne peut ni ne veut revenir sur ses pas.
Chacun des personnages est conscient que désormais la vie se scinde en deux : l’avant et l’après ouragan. Le cyclone qui les touche dévaste autant les arbres, les habitations, les barrages que leur monde intérieur. Même si l’ouragan épargne leurs vies une partie d’eux disparaît à tout jamais sous les flots déchaînés.
C’est un récit tragique d’une grande intensité. L'auteur a placé ses personnages dans une situation extrême sans doute pour tester et puiser au plus profond des ressources humaines. Le style de Laurent Gaudé est en phase avec la montée en puissance de la folie ambiante. La lecture d’Ouragan rappelle parfois celle de La route de Mc Carthy avec aussi ces scènes de fin du monde et cette thématique de la survie.
L’interprétation romancée des ravages de Katrina par Laurent Gaudé me rappelle les images désolantes d’une région anéantie et inondée mais surtout le souvenir d’une population sinistrée et oubliée de tous.
Un retour nécessaire sur ce cataclysme.
Actes Sud- août 2010