Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 11:38

 

le-sang-la-mer.jpeg

 

     Hérodiane, une jeune fille de 17 ans arrive, à la mort de ses parents, vivre à Port au Prince. Elle est accompagnée d’ Estevèl son frère aîné qui a juré à sa mère agonisante de prendre soin de sa petite sœur. Leur père, à la suite d’une horrible machination, s’est retrouvé privé de ses terres. C’est sans un sou en poche que les deux jeunes gens arrivent dans la grande ville. Ils louent un misérable logement sur les hauteurs de port au Prince le paradi et côtoient la pauvreté et la saleté au quotidien.

     Monsieur Wilson, peintre reconnu et ami d’ Estevèl va permettre à Hérodiane de s’inscrire dans une école et de continuer à s’adonner à ses passions : les livres, la lecture et l’écriture.

     Hérodiane va découvrir avec stupeur et colère la nature des liens qui unit les deux hommes. Elle fugue pour mettre de la distance entre son frère et elle, pour tenir la vérité trop choquante à l’écart. C’est dans cet état d’esprit, hagarde et bouleversée qu’elle rencontre Yvan, le riche mulâtre, qu’elle accueille comme le prince charmant de ses rêves.

 

     Gary Victor sculpte l’ébène précieux pour révéler le portrait sublime d’Hérodiane : une jeune fille belle et harmonieuse. Il y ajoute des blocs d’énergie, de résistance et d’intelligence afin qu’elle puisse supporter la misère des taudis, la noirceur des hommes.

    C’est dans les flots salés, dans les vagues dévastatrices et les coquillages blancs qu’il va édifier le personnage d’Esterèl, le grand frère protecteur et mystérieux.

     Ce livre m’a pris par la main et m’a fait voyager dans les ghettos de Port au Prince là où sévit l'extrême dénuement d'une frange de la population délaissée par les pouvoirs publics. Rapines, prostitution, boulots à la sauvette sont les seules clefs de leur survie. La poésie du récit, la beauté rayonnante d’Hérodiane et le surnaturel qui habite Estevèl « l’homme sirène » ont eu raison de mes réticences à embarquer à bord d'une histoire sombre, dramatique mais lumineuse.

 

éditions Vents d'ailleurs - septembre 2010 -

 

Merci Clara pour le merveilleux de ce roman.

L'avis d'Yv qui considère ce livre comme l'un des meilleurs de 2010.

Ce livre est en lice pour le prix du Télégramme.

Partager cet article
Repost0
21 avril 2011 4 21 /04 /avril /2011 09:51

autre-fille.jpeg

     L’autre fille est la lettre qu’écrit Annie Ernaux à sa sœur disparue et dont elle découvre l’existence alors qu’elle a déjà une dizaine d’années.Cette révélation tardive et cruelle est un coup de tonnerre dans la vie d’Annie Ernaux  car accompagnée d’un « elle était plus gentille que celle-là ». Lorsque sa maman, qui s’entretient avec une voisine, lâche le morceau  Annie joue à proximité et est le témoin incrédule de l’épanchement de sa mère. C’est par ses cousines qu’elle apprend les détails du drame : Ginette alors âgée de 6 ans décède d’une diphtérie en 1938.

   Annie viendra remplacer l’absente quelques années plus tard. Ses parents souhaitent un enfant unique et donc si Annie naît c’est uniquement parce que Ginette meurt.

 

     « D’après l’état civil tu es ma sœur. Tu portes le même patronyme que le mien, mon nom de « jeune fille », Duchesne. (…)

     Mais tu n’es pas ma sœur, tu ne l’as jamais été. Nous n’avons pas joué, mangé, dormi ensemble. Je ne t’ai jamais touchée, embrassée. Je ne connais pas la couleur de tes yeux. Je ne t’ai jamais vu. »


     C’est pour répondre à une commande des éditions Nil qu’ Annie Ernaux écrit ce récit épistolaire. Elle dit sa douleur d’enfant placebo, le poids du silence qui entoure cette mort et ses parents qui la voient à travers le prisme de la sœur disparue.

    Après avoir lu plusieurs ouvrages autos bibliographiques de l’auteure dont La place qui m’a beaucoup marquée, j’ai pris plaisir à retrouver un environnement familier : Lillebonne, Yvetot, le café épicerie... J’ai eu l’impression de renouer avec des gens perdus de vue.

     L’écriture est toute en retenue et en délicatesse. Un récit bouleversant qui vient des profondeurs pour dire le traumatisme. On imagine l’auteure  se faire violence pour extraire ces mots et penser (panser) l’absente.


éditions Nil collection les affranchis - mars 2011.


merci Mirontaine pour cette belle missive.


Partager cet article
Repost0
16 avril 2011 6 16 /04 /avril /2011 11:20

sebastien.jpeg

 

      Il a l’habitude Sébastien : l’habitude de se taire, de se cacher derrière un silence prudent pour parer les coups du sort qui le laisse désabusé, blasé. Sébastien a 13 ans et ses parents ne sont pas très attachés à lui, son instit le rejette en le qualifiant d’enfant anormal. Sébastien se retrouve placé dans une institution loin de ses parents, loin de sa sœur.

"Une semaine plus tard, mon père m’a annoncé qu'il avait une bonne nouvelle pour moi. On avait trouvé un Centre qui pouvait me recevoir. Ce n’était pas très loin de chez grand père Albert et grand mère Geneviève.

Mes grands parents proposaient de me prendre pendant toutes les vacances et pour les week-ends.

Mon père a dit que j’avais beaucoup de chance.

J’ai eu envie de lui demander pourquoi c’était beaucoup de chance

Beaucoup de chance de quitter la maison ?

Mais je n’ai rien dit."

     Il va se rapprocher de chez ses grands parents qui l’accueillent avec gentillesse le week-end. Sébastien partage une complicité malicieuse avec son grand père handicapé qu'il pousse dans les rues du petit village pour la promenade dominicale.

 « Nous sommes sortis avec grand-père et j’ai poussé le fauteuil roulant, bien avant l’heure, jusqu’au monument aux morts.

Grand-père voulait être le premier.

Les autres sont arrivés petit à petit. (…)

J’étais derrière grand-père, les mains sur les poignées de mon fauteuil, mais je sentais, rien qu'à la manière dont il se tenait très droit dans son fauteuil, qu'il était vraiment fier d’être là. Il avait peut être attendu toute sa vie rien que pour connaître des moments comme ça. »

   Lors d’une sortie programmée entre anciens d'Algérie le garçon va découvrir une facette cachée du grand père adulé.


   Jean Pierre Spilmont choisit des phrases courtes, des chapitres brefs pour coller au plus près la personnalité de cet ado mutique.

   Je me suis sentie très en phase avec Sébastien ; c’est un jeune garçon généreux, épris de justice. Il est la victime d’adultes incompréhensifs, indifférents et lâches. On compatit pour ce jeune tourmenté, muré dans le silence, replié sur lui-même. On le suit dans son questionnement, ses réflexions intérieures sur la bêtise humaine jusqu’à la fin du livre qui se termine avec fracas.

éditions La fosse aux ours - janvier 2010- 

prix cezam

Partager cet article
Repost0
13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 00:00

jardin.jpeg

« - Vas-y maman ! Pars maintenant. Pars tranquille. Je m’occuperai de tes chiens. De papa. Ne t’en fais pas. Tu peux compter sur moi. Ne te retiens pas. Je t’aime, maman. Va t-en ! Fiche le camp ! Du vent, maman ! Du vent ! Je ne veux pas que tu souffres. Je ne veux pas que tu aies mal. »

     Le livre commence par le décès de Suzanne, femme sexagénaire usée par une vie rude et bosselée. Sa fille Gabrielle utilise le tu pour retracer l'existence tourmentée de sa maman. Bertrande, la mère de Suzanne, n’a jamais accepté cette naissance qui entrave ses désirs de sorties et d’amants. Ses seuls moments de lumière elle les doit à sa mémère et à sa tante Jackie qui vont prendre soin d’elle. Mais même cette tendresse lui sera enlevée lorsque sa mère l’inscrira dans un pensionnat où Suzanne s’inventera une vie de luxe, d’élégance et d’amour maternel pour ne pas être la risée des autres filles issues de milieux bourgeois et bien-pensants.


     En mettant fin à la difficile cohabitation entre la fille et la mère, le mariage de Suzanne avec Franck aurait pu être une belle entrée vers la liberté et l'amour. Mais son mari se révèle être un homme égoïste et prétentieux qui n’a  cesse de brimer et de rabaisser sa femme. Suzanne va se recroqueviller sur sa peine et laisser s’envoler ses rêves.

     J'ai été touchée par la détresse de cette femme et attristée par le malheur qui la suit et lui colle à la peau.

     La narratrice a su trouver le ton juste, elle utilise des phrases courtes, minimalistes pour dire la simplicité et l'abnégation de cette femme. Une vie de gâchis et de sacrifices que l'on voudrait réécrire pour y semer de la gentillesse et du bonheur.

      La rencontre de Suzanne avec ses beaux-parents est un tableau spectaculaire de l'existence de ces gens ordinaires:

"Les parents de Franck habitaient en dehors de la ville dans une maison entre ferme et pavillon, où l'eau courante ne coulait que dans la cuisine. Des gens modestes et sans histoire qui faisaient très attention à leurs dépenses. Ils comptaient chaque sou et se nourrissaient essentiellement de la récolte de leur potager à l'exception du dimanche. Le dimanche, madame Faivre tordait le cou à l'une de ses volailles qui picoraient dans le jardinet. C'était une femme à la chevelure poivre et sel qui riotait sur toutes ses phrases. Même les tristes. Une façon un peu déstabilisante de cacher son embarras. Elle protégeait ses vêtements sous un tablier de nylon à l'imprimé fleuri sur lequel elle passait une éponge en fin de journée. Baptisée Colette, ils l'appelaient Cocotte à cause des poulets qu'elle étranglait. Elle avait une élocution lente. Une certaine paresse de la langue. Elle possédait une collection de chapeaux en feutrine à large bord, clouée aux murs du salon qui faisait sa fierté."

" A son tour, le père de Franck, une bonne pâte qui respirait bruyamment comme si c'était la dernière fois, te raconta quelques évènements marquants de son existence (...)

Tu ressentais une grande tendresse pour cet homme décoré comme un sapin de Noël. Son insuffisance respiratoire ne lui permettant pas de travailler normalement, un jour sur deux il "bénévolait", comme disait Colette, chez les pères franciscains dont le monastère n'était qu'à quelques centaines de mètres. Le reste du temps, il vivotait péniblement en contemplant les photos datant de son époque glorieuse.(...) Tu avais de la peine pour cet homme souffreteux qui ne se plaignait jamais."

    Une lecture absorbante et passionnante, jamais larmoyante. Le témoignage sensible d'un amour filial.


éditions JBZ & cie - décembre 2010 -

 

Merci Sylire pour ces moments d'émotions.

Partager cet article
Repost0
10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 17:46

danbé

    Danbé, dignité dans la langue malinké, est l’histoire de Aya Cissoko (33 ans aujourd’hui); elle y raconte sa courte vie grâce à la plume de Marie Desplechin, auteure-écrivain.

    Son papa Malien arrive en France dans les années 1960 à la faveur de services de l’immigration peu regardants. Lorsque Massiré sa femme le rejoint quelques années plus tard, ils s’installent dans le XXe arrondissement de Paris. Deux garçons et deux filles naissent, Aya est la seconde.

    Sagui le père et Massou la petite sœur meurent dans l’incendie criminel de leur immeuble. Moussa le petit frère, le rayon de soleil de la famille est foudroyé quelques mois plus tard par une méningite.


    Comment continue t-on à se lever le matin, à faire les menus gestes quotidiens, à vivre tout simplement lorsque les drames à répétition s’acharnent sur vous ?

    Aya Cissoko livre avec pudeur et retenue cette rage, ce découragement mais aussi cette force née de la résilience. Elle nous dit sa maman courage qui épreuves après épreuves se bat pour ses convictions et par amour pour ses enfants. Elle est peu prolixe sur les combats de boxe où elle acquiert une certaine notoriété grâce à son talent. Elle se livre du bout des lèvres comme si elle ne voulait pas trop se mettre en avant et ne pas en rajouter.

    Le portrait de cette jeune femme est celui d’une battante volontaire, déterminée et farouche. Elle se cherche et se trouve à force d'obstination et portée par la confiance de sa maman. 

 

   Malgré la grandeur d'âme que je prête à Aya, je ne me suis pas beaucoup investie dans cette lecture. J’ai regardé Aya combattre tout au fond des gradins sans jamais trembler pour elle ou les siens.

    Un récit de vie qui arrive peut-être trop tôt dans la vie d'Aya.


éditions calmann-lévy - février 2011-


merci à BOB et aux éditions Calmann-lévy




Partager cet article
Repost0
6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 10:44

malediction.jpeg

     La petite ville de Pluto dans le Nord Dakota se situe près d’une réserve d’indiens et c’est là que se côtoient les familles, Milk, Harp, Peace et Couts.

     Ces quatre familles ont leurs destins qui se croisent et se lient depuis ce jour maudit de 1911 où une famille entière, à l’exception d’un bébé, a été décimée. Trois indiens qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment sont pendus par des fermiers blancs.

 

 

      C’est dans les années 1960 que les descendants de ces familles vont prendre la parole pour éclairer cet évènement tragique  et tenter d’en extirper sa part d’ombre.

    Dans ce roman polyphonique, Evelina est la première à se livrer, elle est la petite fille de Mooshum qui a mystérieusement échappé à la pendaison. Ce grand-père est un homme haut en couleurs et dont les histoires édulcorées remplacent la télévision.

«  Il portait des vêtements de travail de chez Sears, avachis et usés jusqu’à la trame, une paire de godillots en piteux état, et une casquette en coutil, même à l’intérieur. Ses yeux brillaient au creux de fentes profondes taillées dans son visage. La pointe de son oreille gauche manquait, ce qui lui donnait un air de guingois. Il était voûté et desséché, avec ça et là des mèches de cheveux blancs lui tombant sur les oreilles et dans le cou. De temps en temps quand il parlait nous apercevions la sombre pagaille de ses dents. »

     Le juge Antone Bazil Coutts prend le relais de Evelina . Il  revient sur l’épopée de ses ancêtres, les pionniers de la ville de Pluto.

«  Les guides se repéraient à l’étoile polaire, et le groupe s’arrêtait, désorienté, lorsque toutes les deux- trois heures des brouillards givrants les environnaient. Quand les bœufs s’arrêtaient, les Buckendorf  tombaient des traîneaux comme si on leur avait tiré dessus, et s’endormaient dans la neige. »

« Quand je regarde la ville à présent, qui s’amenuise sans grâce, je pense qu’il est bien étrange que des vies aient été perdues pour qu’elle soit créée. »

      Se succèdent ainsi "à la barre" un certain nombre d'héritiers témoins de l'histoire individuelle ou collective.

    Tour à tour les pièces de cette grande fresque s’achoppent, se superposent pour s'acheminer vers la vérité. Le passé répond au présent dévoilant la culpabilité et la peur qui ferment les visages et soudent les membres de la communauté.


     Toute tentative pour parler du livre de Louise Erdrich ne peut être que réductrice tellement l’histoire est foisonnante et multicolore. Le poids de cette injustice portée par la petite ville de Pluto est magnifiquement mis en mots par l'auteure. Le difficile métissage qui gère les relations entre blancs et indiens est subtilement décrit. La polyphonie du roman nous fait faire parfois le grand écart entre les différentes voix. L'éclectisme du récit nous surprend et nous guide après moult détours vers la dernière voix, la dernière clef.

    


traduit de l'américain par Isabelle Reinharez

Albin Michel- août 2010 -


Merci Clara pour ce vol de colombes.

challenge petit bac


Partager cet article
Repost0
3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 14:10


Message  aux cigales occidentales... 


fred-vargas.jpeg

 

Nous y voilà, nous y sommes.
Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l’incurie de l’humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal.
Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d’insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l’humanité tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l’eau, nos fumées dans l’air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s’est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l’atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.

 Franchement on s’est marrés.
 Franchement on a bien profité.
 Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
 Certes.
 Mais nous y sommes.
 A la Troisième Révolution.
 Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
  « On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.

C’est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.

La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau. Son ultimatum est clair et sans pitié :  Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l’exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d’ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n'a pas le choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on s’excuse, affolés et honteux.

D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l’humanité n’en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l’avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n’en a plus, on a tout pris dans les mines, on s’est quand même bien marrés).
S’efforcer.
Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l’Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d’échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l’ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n’empêche en rien de danser le soir venu, ce n’est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie –une autre des grandes spécialités de l’homme, sa plus aboutie peut-être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

Fred Vargas
Archéologue et écrivain

 

J'ai découvert ce texte ironique, lucide et bien troussé sur le blog de Yv puis de Lily.

Pour pouvoir danser encore longtemps retroussons nos manches et sortons nos binettes!

Partager cet article
Repost0
30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 15:38

parle-leur.jpeg    Michel-Ange est déjà un artiste reconnu et admiré en Italie lorsque, en froid avec le pape Jules II, il s’embarque pour Constantinople là où l’attend un projet grandiose. Le sultan Bajazet l’a fait quérir pour la réalisation d’un pont qui doit rejoindre les rives de la Corne d’Or. Michel-Ange est un homme fier et orgueilleux qui ne boude pas son plaisir et accepte de s’atteler à un projet qui a vu Léonard de Vinci, son rival, échouer avant lui. Il espère secrètement que son départ pour les rives du Bosphore éveillera la jalousie et les regrets du pape.


        En partant d’un fait historique, Mathias Enard nous entraîne avec bonheur dans le sillage du génie Michel-Ange sculpteur, dessinateur, peintre, architecte et poète du XIéme siècle.

     Mais plus que le travail de l’artiste, nous découvrons, à travers son séjour semi oisif  à Istanbul, un homme à l’humeur changeante et déroutante, un homme ambitieux et curieux qui n’a de cesse d’élargir son érudition.

     Malgré un physique disgracieux et une crasse fétide, l’homme dégage une aura qui rayonne  autant sur le lecteur que sur Mesihi le poète soupirant.

     Le style choisi par l'auteur pour parcourir la ville est poétique et fait appel à tous nos sens: le brouhaha de la ville et des marchands, les danses langoureuses, la musique aux accents de mandore ou de viole, la dégustation de boeuf aux dattes  ou de la volaille à la mélasse de caroube, les odeurs enfumées des bars de nuit concourent à charmer le lecteur qui se prélasse dans une ambiance aux couleurs orientales. Cette exotisme est mis à mal avec les conspirations, jalousies et quêtes de pouvoir.

        Le portrait tout en contrastes d'un homme et de ses faiblesses, d'un artiste et de ses doutes.


Actes Sud - septembre 2010 

 

Merci Griotte pour le trop court mais beau voyage à Istanbul.

Partager cet article
Repost0
24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 00:00

alligator.jpeg

  

 

 

     Antoine Guibert répond à une petite annonce stipulant la présence d’un infirmier-écrivain près de Rosa Bosquet, vieille dame handicapée et obèse qui ne quitte plus son lit et souhaite écrire ses mémoires. Arrivé à Gourdaix, il rencontre Laura, la nièce de la patiente, qui délègue avec soulagement les soins auprès de sa tante.

     L’arrivée d’Antoine dans ce petit coin perdu du sud de la France ne doit rien au hasard. Depuis de nombreuses années Antoine traque Rosa Bosquet afin qu’elle réponde des crimes perpétrés en Haïti il y a quarante ans.

 

     Dès les premières pages, et malgré le cadre idyllique du bord de mer, « Entre mer et montagne, Gourdaix domine toute la côte, vue imprenable, site admirable, rocher isolé au cour de la Méditerranée ; Gourdaix, la plus belle carte postale du midi ! » on devine que l’on va assister à un déferlement de violence. Antoine décline immédiatement son identité et son dessein : il souhaite venger les membres de sa famille torturés et tués par les sbires du gouvernement Duvalier dont Rosa était un pilier.

« On dit des alligators qu’ils sont sans pitié, elle doit être de la même race qu’eux : un reptile féroce, venimeux et cruel comme seuls peuvent l’être ces animaux. »

      Un alligator nommé Rosa revient sur les années Duvalier en Haïti et sa politique sanglante de répression. On entre dans les coulisses de la dictature et on découvre l’horreur des exactions prodiguées par les tontons macoutes et les femmes choches envers les opposants au régime.

     Dans la première partie l’auteure base son récit sur l’esprit de vengeance qui anime Antoine et le fait sombrer dans un état hystérique proche de la folie. Dans la seconde partie Laura raconte ce que fut sa jeunesse dans le giron de sa tante qui souhaitait la voir rejoindre le parti de Duvalier. Ils vont unir leurs rancoeurs pour chercher une solution juste et méritée.

     Voilà un livre qui m’a vraiment dérangé. Cette lecture m’a mis le cœur au bord des lèvres. L’auteure fait étalage d’horreurs, de monstruosités et de supplices ; certaines descriptions sont insoutenables. Elle utilise des mots crus qui claquent et qui choquent.

     Je n'ai pas ressenti d'empathie pour cet homme qui répond aux crimes de son bourreau par une démence verbale. Le dénouement de l'histoire m'a décontenancée.


éditions Vents d'ailleurs - février 2011-

 

Des avis plus élogieux chez Skritt et Gangoueus


merci  à Vents d'ailleurs et à BOB et désolée pour cette rencontre manquée.

Partager cet article
Repost0
21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 00:00

hommes sirènes

 

 

 

 

     C’est un tout petit caillou logé près du cœur qui met la vie d’Antoine en sursis. Cette épée de Damoclès tournoie au-dessus de sa tête avec insistance et l’incite à jeter les clefs de sa maison et à prendre à rebours le chemin de son existence.

      Antoine rompt ses liens professionnels, familiaux et amicaux pour s’aventurer sur les chemins de son passé. Comme dans un jeu de piste, Antoine glane les indices qui lui permettront de Saint Malo aux Saintes Maries de la mer, de ses origines indiennes aux camps de la mort de se délester de ce poids, de cette souffrance, de ce caillou qui obstrue le chemin de la libération.

«  Plus tard,  dans la journée, il a repensé aux pierres dans ses poches. Tant qu’il les avait là, elles n’étaient pas en train de lui tendre un guet-apens près du cœur, il s’est dit.

L’homme a sorti sa poignée de cailloux. Il les a inspectés comme s’il cherchait  à en reconnaître un parmi eux. Il en a extrait un quartz. Un quartz translucide avec des paillettes orangées, gros comme l’ongle d’un pouce. Il a reconnu une aventurine. Rien que le mot lui plaisait. »


     Antoine, que l'auteure nomme l'homme, a grandi tiraillé entre ses origines indiennes, l’inhumanité de ses parents adoptifs, les bondieuseries d’Eugénie la cuisinière et les sages conseils du sorcier. Ses parents adoptifs reproduisent dans leur domaine les scènes immondes et maléfiques vécues dans les camps de concentration.L’homme  creuse, élague, recolle les morceaux de son enfance.

« Je voudrais savoir, Eugénie, si j’étais aussi méchant qu'ils m’avaient fait ?»

     Il ne s’agit pas pour Antoine de faire table rase de son passé mais de l’apprivoiser pour se projeter et construire sa vie.

     Un livre surprenant et envoûtant. L'écriture poétique de Fabienne Juhel prend sa source dans la lumière naturelle; c'est une écriture inventive et imagée.

« La lumière le fait sursauter. Il ne pensait pas que cette matinée fut si riche en gris. Aussitôt, il invente le nom de cielleux  pour qualifier la qualité de cette lumière grise avare de ses larmes. L’homme le notera tout à l’heure dans ce carnet qui ne le quitte jamais. »

     L'auteure crée une atmosphère mystérieuse et onirique. Un voyage tout en symboles qui mène l'homme sur le chemin de la rédemption. Le personnage d'Antoine dégage un magnétisme qui nous aimante à ses semelles de vent et d'eau.

     Une histoire originale, une écriture éblouissante et magique, une jeune auteure pétillante et précieuse... à savourer dans Les hommes sirènes.

 

éditions la brune au Rouergue - janvier 2011

 

L'avis de Clara que je remercie pour le prêt et de Griotte.

Partager cet article
Repost0